Une rencontre improvisée

Un nouveau jour se lève. À l’extérieur, il fait un magnifique soleil et alors que je me lève tout doucement de mon lit, je sens sur mon visage la chaleur de ses rayons. Je m’étire et fais quelques pas dans ma chambre. Je me sens lasse et tendue. Encore une fois, ma nuit a été peuplée de mauvais rêve. Toujours les mêmes qui me hantent nuit après nuit sans que je puisse faire quoi que ce soit pour y changer. Je ferme les yeux un instant et je prends une profonde respiration avant de me rendre à la salle de bain pour faire ma toilette avant d’aller courir. Une fois prête, je quitte mon appartement et je me dirige au pas de course vers Central Park. Avant mon entrée dans le parc, je m’arrête au kiosque de mon marchand de journaux et lui achète l’exemplaire du jour du New York Times que je glisse dans mon sac à dos et reprends ma course. Je suis tout près de l’entrée près de la 5e Avenue quand de puissantes crampes dans le bas du ventre me stoppent dans mon élan. Je m’arrête un moment pour respirer et boire un peu d’eau avant de reprendre ma course. Ce n’est pas la première fois que j’ai ce type de crampe. Habituellement, elles sont plus fréquentes au début de mes règles, mais depuis quelques mois mon cycle est tout chamboulé. La situation devrait m’inquiéter, mais comme j’ai horreur des hôpitaux, je préfère remettre à plus tard une visite chez le médecin.

Chassant mes craintes, je continue ma course vers la fontaine du Loeb Boathouse. Ne me sentant pas aux meilleures de ma forme, je décide de ne pas faire mon parcours habituel. Je contourne donc le restaurant et je vais me chercher un café à un kiosque avant de prendre place sur un banc pour lire mon journal face à l’immense fontaine. Dans mon iPod, une chanson de Joe Dassin résonne tout doucement dans mes oreilles. J’ouvre mon journal et commence ma lecture par la section des « Arts et Spectacles ».Quelques pages plus loin, des publicités pour de nouveaux spectacles sur Broadway attirent mon attention. En lisant les annoncent, il me prend l’envie de réserver des places pour moi et Joy. Il y a un moment que nous ne sommes pas sortis au théâtre ensemble. Il me semble qu’une bonne pièce de Shakespeare ou un drame de Tchekov nous ferait le plus grand bien à moins que je choisisse quelques choses de plus légères comme une comédie musicale. Une chose est certaine il faut que je trouve un moyen pour changer les idées de ma sœur. Je suis toute absorbé dans ma lecture quand je soudain, je sens une présence à mes côtés. Je grimace. Je déteste qu’on vienne me troubler quand je suis dans ma bulle. Je regarde autour de moi et plusieurs bancs sont libres alors pourquoi parmi tous les bancs disponibles et libres dans le jardin, il fallait que cet abruti s’échoue sur le mien. Je me tourne vers l’homme qui s’est assis sur mon banc. L’homme semble éprouver un malaise. Inquiète. Je dépose mon journal près de moi et me penche vers lui pour m’assurer que l’étranger se porte bien et ce n’est qu’à ce moment que je le reconnais. Ce n’est pas un étranger et encore moins un abruti. Il s’agit d’un ami. Derek. Je me sens mal tout à coup pour lui. Il semble crever. Je me doute bien que ce n’est pas ses affaires qui l’ennuie, mais bien c’est histoires de cœur. Je lui souris et lui donne un léger coup d’épaule et lui dit : « Bonjour toi … Je ne savais pas que tu courais par ici. C’est la première fois que je te vois par ici »

© charney

New York. Depuis toujours est ma ville. Elle est ma maison. Où que j’aille, je me sens chez moi dans la Grosse Pomme. Que je me promène dans les rues chics de Manhattan, dans celles plus sombres du Bronx ou du Queens, je suis chez moi dans cette ville remplie de surprise. Lorsque je traverse le pont pour me rendre à Brooklyn chez des amis ou dans les différentes galeries d’art et restaurants branchés, je suis toujours émerveillée par la grande diversité culturelle qui habite ma ville. Passionnée par les arts, j’aime aussi me rendre à Staten Island pour assister à une pièce au célèbre théâtre St-George. New York est vraiment une ville formidable remplie de contraste. Peu importe la saison, New York est toujours belle à voir et visiter.  En hiver la neige blanche vient ajoutée du charme à notre ville et j’aime me promener dans le parc alors que la glace recouvre nos fontaines. Au printemps, les bourgeons et les feuilles vertes viennent ajouter de la couleur aux arbres qui renaissent après un long repos. Dans les jardins et platebandes, les tulipes jaunes, rouges et orange sortent de terre pour nous rappeler que les beaux jours sont sur le point de revenir. Dans le ciel bleu de New York, le soleil d’un jaune éclatant recommence à nous réchauffer en attendant le retour de l’été. L’été, si beau si clair et chaud. En été New York est bondé de touristes qui courent les festivals et les attractions. C’est sans doute la saison que j’aime le moins parce que j’ai l’impression que je suis plus vraiment chez moi, mais heureusement je réussis toujours à trouver un coin désert dans le parc pour lire et me reposer. Le parc est comme une seconde maison pour moi. J’y ai plusieurs endroits préférés. Plusieurs lieux secrets que je ne partage qu’avec mes proches. C’est ici, que j’aime venir piqueniquer avec Jamila ou Joy. Ici, que j’ai embrassé tant de fois Andrew. C’est également sur la patinoire du parc que j’ai appris à patiner avec Paige. Ma saison préférée reste pourtant l’automne. L’automne si coloré et si vivant. Les feuilles des arbres changent alors du vert aux jaunes, parfois elles prennent des teintes orangées voir même rouge ou brun. J’adore me promener dans les sentiers du parc à cette époque de l’année.  

Cet endroit recèle un tas de bons souvenirs pour moi. Et voilà que je découvre que je partage également cet endroit avec Derek. Quelle surprise de le retrouver ici! Je savais qu’il était de retour à New York, mais je n’aurais jamais imaginé le croisé ici. De tous les endroits que recèle cette ville, il fallait que je le retrouve sur ce banc de parc. Maintenant. Il ne pouvait pas trouver pire moment puisque depuis quelques jours, j’ai peine à le supporter. Son histoire avec ma sœur me déconcerte et me choque. En plus, nous nous sommes accrochés lors de la soirée d’anniversaire de Dylan et depuis plus rien. C’est la première fois que nous avons un malentendu et je ne sais pas comment me comporter avec lui. Dois-je lui dire clairement ce que je pense ou me taire? Après tout, toute cette histoire ne me regarde pas réellement. Je le salue. Il semble tout aussi surpris que moi et gêné à la fois.

«  Bonjour toi… faut croire que ça m'arrive parfois... Je suis content de voir que tu n'es pas trop en colère contre moi… je suis désolé de t'avoir envoyé promener à l'anniversaire de Dylan... » Il hausse les épaules et cherche ses mots pour s’excuser. Il semble dépassé par les événements. Je me rends alors compte que contrairement à ce que j’imaginais cette histoire n’est pas simple pour lui non plus. J’ose à peine le regarder préférant lisser mon pantalon de jogging noir. Je ramasse sur le sol une petite fleur rose et m’amuse avec elle. Entre nous s’installe un lourd silence. Que puis-je lui dire? Que je lui en veux d’avoir trahi Dylan en se servant de ma sœur. Il le sait déjà. Que je suis furieuse contre Joy. Il doit s’en douter. Je sens son regard sur moi. Il soupire et ajoute : «  Faut dire que s'était pas la soirée du siècle pour moi... »  

J’ai peine à croire ce qu’il me dit. Je prends à mon tour, une grande respiration et lui dit tout en continuant à m’amuser avec ma petite fleur :

- Je veux bien croire que tu n’as pas apprécié l’expérience, mais si mon souvenir est bon, tu as tout de même profité de l’occasion pour ajouter de l’huile sur le feu en te donnant en spectacle avec ma sœur. C’était vraiment nécessaire? On sait tous les deux que cette histoire entre Dylan et Dyson, c’est du vent et qu’elle a agi de la sorte dans le but de te rendre jaloux et te faire payer pour la peine que tu lui as faite.

Je fais une légère pause et ajoute enfin en le regardant :

- Je suis très déçue Derek. Je te croyais différent des autres. Et pourtant, tu n’es guère différent de tous les hommes que je connais. C’est à croire que vous ne pensez qu’avec ce qui se trouve dans votre pantalon. Tu dis aimer Dylan et tu lui joues dans le dos sans arrêt et non pas seulement avec une inconnue, mais avec sa meilleure amie !!!

© charney

Alors que j’écoutais attentivement Derek, je ne pouvais m’empêcher de m’en vouloir pour ce que je lui avais dit. J’avais eu tort de m’emporter contre lui. Tort de le traiter si injustement sans prendre la peine de connaître son point de vue sur toute cette histoire qui commençait tout à nous pourrir la vie. S’ils voulaient s’amuser à se jouer dans le dos les uns des autres que pouvais-je faire? Tout ce qui m’importait réellement était le bonheur de ma sœur. Je ne voulais pas qu’elle ait mal. Qu’elle souffre. Si elle se sentait bien avec Derek et que ce dernier la traitait correctement que pouvais-je dire ou faire? Joy était une adulte, je n’avais pas à me mêler de ses histoires de cœur. Quant à Derek bien que je désapprouvais la façon dont il s’était comporté avec Dylan, ce n’était pas à moi à lui faire la morale à ce sujet.  

Derek avait toujours était bon et compréhensif envers moi. Ce n’était pas charitable de ma part de l’avoir attaqué comme je l’avais fait. Contrairement à ce que j’avais fait à la fois avec Joy et Dylan, je ne lui avais pas laissé la chance de s’expliquer. Honteuse, je baissais les yeux. Je devais réparer. Je devais non seulement m’excuser auprès de lui, mais également lui faire comprendre que je tenais à notre amitié et que j’accordais beaucoup d’importance à sa présence dans ma vie.  Le pauvre Derek se débattait devant comme un diable dans l’eau bénite. Assaillie par tous par des reproches et des incompréhensions, comme il devait se sentir seul.

« Je ne m'attendais pas à ce que tu comprennes, mais je pensais que tu m'aurais au moins laissé le bénéfice du doute au nom de notre amitié... »

Cette phrase me mit tout à l’envers. Je n’aimais pas me disputer ni avec lui ni avec qui que ce soit. Certes j’étais reconnue pour être franche, mais dans le cas présent j’aurais peut-être dû me garder une petite réserve avant de lui cracher mon venin. Voyant qu’il n’en avait pas fini, je le laissai terminer. Je me voyais mal l’interrompre alors qu’il avait enfin sa chance de s’expliquer.

« Ce qui s'est passé n'a rien à voir avec ce qui est arrivé lorsque j'ai trompé Dylan la première fois… cette fois c'est différent, car j'ai des sentiments pour Joy et je n'ai aucun contrôle sur ce qui se passe entre nous… »

Il me jeta alors un regard dur. Je voyais qu’il luttait intérieurement pour ne pas céder à la colère. Il semblait vraiment excéder par toute cette histoire et ce qu’elle lui apportait comme ennuis. Je m’en voulais encore plus de m’être montrée injuste envers lui. Énervé, il serrait les poings pour tenter de garder son calme et ne pas perdre son sang-froid.  

« Dylan ne m'a pas laissé le choix… tu me connais Maxyne et je me devais de réagir et c'est ce que je ferais encore si Dylan m'attaque à nouveau… c'est elle qui a choisi d'entrer en guerre en se vengeant et elle n'aurait jamais dû mêler Dyson à tout ça... »

Sur ce point, je ne pouvais que lui donner raison. Dylan n’aurait pas dû mêler Dyson à leur histoire, mais à présent qu’il en était cela ne pouvait que compliquer leur réconciliation. Comme un lion pris en cage, Derek se leva du banc pour faire quelques pas et se planta face à moi. Sentant qu’il attendait quelques choses de ma part, je jetai la petite fleur sur le sol et me levai à mon tour. J’étais plus petite que lui, mais je pouvais facilement tenir son regard. Le sien était rempli de rage de désespoir. Le mien était rempli de sollicitude pour mon ami.

«  Dyson m'a trahi et Joy n'a pas trouvé mieux que de se retrouver dans son lit ! Qu'est-ce que je suis censé faire Maxyne? Dis-le-moi parce que je suis complètement largué ! »  

Littéralement dépassé par l’ampleur que toutes cette historie prenait je voyais mon ami submerger par les émotions. Il ferma un instant les yeux et j’en profitai pour glisser doucement l’une de mes mains dans la sienne en guise de soutien.

Je me devais de l’aider, mais comment? Que pouvais-je lui dire? Que le temps arrange les choses. Balivernes. Lui comme moi savions qu’il faudrait davantage que du temps pour arriver à assainir les tensions entre tout ce beau monde. Je pris une grande respiration et lui dit tout doucement :

- Je suis désolée… désolé de t’avoir attaqué comme je l’ai fait. C’était injuste de ma part. Je n’avais pas à te dire toutes ces choses. Je me rends compte que j’ai voulu te rendre responsable de choses qui ne sont pas de ton ressort. C’était très maladroit de ma part. J’espère que tu voudras bien me pardonner.  

Je lui caressai doucement la paume de sa main pour lui montrer ma sincérité, mais aussi pour le forcer à me regarder de nouveau. Je fis une légère pause et ajouta ensuite :

- Je t’avoue que je ne sais pas quoi te répondre. Toute cette histoire me dépasse littéralement. La seule raison pour laquelle je m’en suis mêlée c’est pour Joy, mais avec du recul je me rends compte qu’elle n’a pas besoin de moi. Comme toi, je ne comprends pas pourquoi elle s’est retrouvée avec Dyson et franchement je préfère ne pas le savoir… Je ne sais pas comment vous arriverez à régler toute cette merde entre vous, mais ce qui m’importe c’est qu’en fin de compte tu trouves enfin le bonheur que tu mérites…

Voyant qu’il semblait réellement perdu, je pris sur moi de lui changer les idées. Je ne pouvais le supporter de le voir dans cet état. Je lâchai sa main et lui donna un coup d’épaule amical et lui dit :

- Et si on oubliait cette histoire pour quelques heures le temps d’aller prendre une bouchée ensemble et faire la paix? Je connais un endroit très sympathique ou on mange les meilleures pâtes et des gelatos fantastiques.  

© charney